Paris, le 30 août 2007
La justesse des décisions
technocratiques françaises
est proverbiale. Il suffit pour s'en convaincre de se rappeler qu'entre
autres choses le quartier du Vert Bois, où s'inscrit la nouvelle école
maternelle et élémentaire, était censé remplacer à terme
l'ancienne ville de Saint Dizier. Après la dernière
guerre dans les années soixante, Edgar Pisani, Ministre du Général
de Gaulle, avait décidé en fonction de quelques idéaux
mal compris que la vieille ville était obsolète et bonne à jeter.
Aller ouste ! On rase et on reconstruit à coté :
du tout beau, du tout neuf, du tout moderne et surtout du fonctionnel.
Quelques décades après
il fallut bien déchanter. En fait, le nouveau centre peu propice
dès le départ à un quelconque renouveau urbain n'a
cessé depuis sa création de se dégrader à coté -
ironie de l'histoire - de la vieille ville, elle ! Toujours
bien là et toujours bien vivante parce qu'on avait finalement
renoncé à la détruire. Il se dégageait avant
la rénovation de ce quartier, que les bragards continuent
d'appeler la «Ville Neuve», une atmosphère de
désolation.
La municipalité actuelle,
toujours aux commandes, engage dans le cadre d’'un ambitieux projet
de renouvellement urbain (dans le cadre d'un GPV, la convention
ANRU a été signée le 26 novembre 2004), la requalification
des espaces publics existants, la réhabilitation ou la destruction
d'immeubles barres afin d'améliorer les liaisons inter
quartiers, la construction de nouveaux équipements, la réhabilitation
du centre commercial et la reconstruction de l'ancienne école
Louise Michel dont la situation géographique en fait dans le cadre
de la rénovation une pièce importante de la nouvelle stratégie
urbaine.
C'est bien là le paradoxe,
demander à une école d'être le « pivot » d'une
qualification urbaine. Le défi est presque impossible parce que
lorsqu'on veut ouvrir une école sur l'espace urbain,
créer par là même des transparences jusqu'au
coeur de l'équipement ou créer des relations
entre les espaces privés de l'institution et les espaces
publics de la ville, on a sur le dos les professeurs, les syndicats d'enseignants
et la vox populi contre nous. Car tout doit être impérativement
sous contrôle et clos. Les « sauvageons » ou
autres ne sont pas loin et ils ne doivent en aucun cas pouvoir approcher
au plus près l'institution. La sécurité des
enfants et du corps enseignant n'est pas négociable. Ce
que l'on pouvait par contre mieux comprendre dans ces précautions
d'usage, c'est la question de l'orientation des classes.
Les orienter sur les espaces de la ville ne serait peut être pas
la meilleure façon de créer un cadre d'enseignement
calme et serein.
La ville ayant toujours été le
lieu des conflits, le découragement
n'est pas de mise. Notre conviction restait intacte, une école peut
certainement s'ouvrir sur son territoire sans pour cela négliger
toutes précautions.
Inscrite dans le périmètre
de trois rues et d'une voyotte* - créée à l'occasion
pour séparer l'école de l'opération de
logements mitoyens - l'école se présente comme un « bâtiment îlot » de
forme rectangulaire. Chaque école en occupe une moitié, à l'Est
la maternelle, à l'Ouest l'élémentaire,
les cours occupant la partie centrale et les bâtiments la périphérie.
* (voyotte : terme local désignant une petite ruelle piétonne
reliant deux rues principales d'un espace urbain)
L'identification de
chaque école
est importante, c'est pourquoi l'étage supérieur du
bâtiment s'interrompt pour laisser deviner la cohabitation
des deux écoles. Seul le rez-de-chaussée assure la continuité des
masses. Classe intermédiaire ou d'appoint, bibliothèque
et locaux médicaux communs aux deux institutions en sont la raison.
Le plus grand coté du
bâtiment présente
sur rue une succession de volumes d'un seul niveau et des patios. A travers
des rambardes en bois ajourées situées en limite du domaine
public et des baies vitrées situées en périphérie
de ces patios, on peut jeter son regard à l'intérieur
de l'école jusqu'aux cours de récréation.
Chaque école déclare
son identité.
La maternelle d'allure moins altière et plus domestique laisse entr'apercevoir
sa façade d'entrée entre des murs d'une clôture
qui délimitent un petit espace extérieur privatif clos qui
lui sert de parvis. A l'opposé, l'entrée de l'école
primaire s'annonce directement et plus fièrement sur l'espace
public avec ses parterres et son auvent qui lui sert de porche.
L'école est par
excellence un espace social d'apprentissage. C'est pourquoi le « monolithe » est à délaisser
au profit d'une organisation architecturale plus fragmentée,
une sorte d'urbanité déclarée. L'école
s'organiserait comme une petite ville avec ses maisons, ses boutiques,
ses restaurants, ses institutions, ses passages couverts, etc.… Ici
le logement du gardien, là la demi-pension, plus loin : la
salle de jeux, les préaux, le local des associations, les classes,
etc.…
L'architecture scolaire
pose particulièrement le problème de la répétition
parce que l'égalité ici est de mise. Toutes les classes
doivent être aussi bien traitées, même qualité de
vues, de lumière, d'accessibilité, etc. Mais comme
la répétition pose inévitablement le problème
de l'ordre et de la singularité, il faut donc jouer à la
marge.
Le registre choisi des matériaux
va nous aider. Par parti pris, ils sont peu coûteux et peu sophistiqués.
Le luxe n'est pas utile à la poésie de l'expression.
Ils ont simplement été retenus pour leurs qualités
intrinsèque, dans ce qu'ils ont de plus brut : matière,
grain et couleur, et enfin pour leurs caractéristiques physiques
qui serviront à marquer les différences.
Les auvents et les balcons
en béton armé et en porte à faux servent à singulariser
les classes de l'étage de celles du rez-de-chaussée dont
les piliers de la façade ornés de plaquettes de terre cuite
noire servent à se singulariser également du reste. Cela
a aussi une autre vertu. Le désir de créer un soubassement
petit ou grand aux fronts des façades rend plus solide le bâtiment
tout en le rendant paradoxalement plus léger. De toutes façons
ne pas protéger le bas des enduits des salissures et des rejets
de toutes sortes n'est pas correct.
Comme à la frac12;
pension du collège de Clamecy des voussures et des appuis de baies
en béton brut encadrent et soulignent les fenêtres. Il faut
bien un linteau pour tenir les tympans de maçonnerie et un appui
pour protéger l'épaisseur des enduits.
En y regardant de plus près,
si on le souhaite. De ce bâtiment
on pourrait modestement tirer des conclusions, je n'ose pas dire un enseignement.
Comme dans toute architecture quel que soit son registre l'élégance,
la légèreté et la simplicité sont de mise.
C'est tout au moins ce que nous avons encore essayé de faire
ici. Mais sans vouloir rien prétendre par modestie, si l'on
concède à cette école quelques qualités esthétiques,
il faut alors se rendre compte que pour y parvenir il a fallu donner de
l'épaisseur partout. Pour plus de légèreté les
abouts de voiles, les rives de toitures, les mains courantes et lisses
des gardes corps ont de très fortes dimensions pas moins de 50 cm
d'épaisseur pour certains ouvrages. C'est bien là le
paradoxe faire épais pour plus de légèreté.
« Ce qui est
petit est beau. Ne faites jamais (même en politique) rien de
plus grand que nécessaire » C'est
la règle que Donald Judd, formidable sculpteur contemporain aujourd'hui
disparu ne cessait de dire amicalement aux architectes (Art et Architecture
1987). Dix huit classes c'est beaucoup et le bâtiment est grand.
Il mesure dans sa plus grande longueur cent trente mètres. Il fallait
donc faire ténu dans les altimétries des volumes pour ne
pas faire trop grand, afin de créer pour cette école une
atmosphère de grande demeure.
Les menuiseries extérieures
et intérieures sont en bois naturel, les faux plafonds intègrent
le plus souvent des systèmes d'éclairage indirect, ce qui
participe à créer une ambiance plus domestique qu'institutionnelle.
Enfin la majorité des
toitures sont couvertes d'un substrat végétal. Quelques
contraintes techniques à caractère environnemental nous
ont conduit à faire ce choix, temporisation des rejets d'eaux
de pluies, visibilité des toitures depuis les immeubles situés
aux alentours, etc. ... Mais plus encore, l'idée que
le substrat prend des camaïeux de couleurs différentes au
cours de l'année revêtait pour nous un caractère
particulièrement poétique. Les saisons rythmeront ainsi
le temps des élèves, vert l'été, rouge
l'automne, jaune l'hiver.
« Ce qui est en jeu, c'est peut être simplement
un sens obstiné de l'économie et de la précision
dans le projet, en partant des choix conceptuels jusqu'à l'exécution
technique » Recycling Max Bill / Stanislaus von Moos.
BenoîtCrépet Architecte d.p.l.g. / Urbaniste d.i.u.u.p.
Maître Assistant à ENSAL
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